La sauvegarde de deux redoutes dites de Vauban

entre Tournoux et Saint-Paul.

Notre amicale s’est intéressée à la sauvegarde des deux redoutes dites de Vauban qui se trouvent entre Tournoux et Saint-Paul-sur-Ubaye sur le GR6/56, chemin royal ou chemin de traverse.

Ci-dessous en 1. le dossier de sauvegarde de ces redoutes

suivi en 2. d ‘une étude de Laurent Surmely sur le système fortifié de la vallée de l’Ubaye.)

  1. Le dossier de sauvegarde des redoutes du Pas de Faure et des Cassons (cliquer sur le mot redoutes pour lire le texte en PDF). Ce dossier a été réalisé par l’amicale et a été adressé à la commune de Saint-Paul, à l’architecte des bâtiments de France à Digne (Mr. Laurent Chaine) ainsi qu’à Mr. Bartolini, directeur de la fondation du patrimoine des AHP.

Dans ce dossier, un résumé du système fortifié de la vallée de Barcelonnette a été inséré, texte écrit par Laurent Surmely que nous reproduisons intégralement ci-dessous cat il est passionnant.

Bonne lecture !

2. Note sur le système fortifié de la vallée de Barcelonnette

Présentation de Laurent Surmely.

Laurent Surmely est titulaire d’une maîtrise d’histoire moderne obtenue en 1997 à l’université Pierre-Mendès France (Grenoble II). Dès la fin de ses études, il oriente ses recherches vers la reconstitution et la compréhension des migrations saisonnières dans les Alpes du Sud avec son mémoire de maîtrise, réalisé sous la direction d’Alain Belmont, consacré à La migration des régents d’école de Villar-Saint-Pancrace au XVIIIe siècle. Ses recherches, depuis plusieurs années, portent sur l’économie et la société de la Vallée de Barcelonnette aux XVIIe et XVIIIe siècles. Une partie de ses recherches a été synthétisée dans l’ouvrage Du fil au fer, industries et industriels de la vallée de Barcelonnette au Luxembourg publié paru en 2019. En parallèle, au profit de l’association Sabença de la Valéia/connaissance de la Vallée de Barcelonnette dont il fut vice-président puis président de 2008 à 2018, Laurent Surmely a mené toute une série de courtes recherches et a écrit plusieurs articles sur l’histoire de la Vallée de Barcelonnette aux XIXe et XXe siècles.

Parce que l’armée a profondément marqué ce territoire depuis le XVIIIe siècle, il a également travaillé sur les systèmes fortifiés et la présence militaire notamment avec son Etude historique et documentaire sur les fortifications et la présence militaire dans l’Embrunais et la vallée de l’Ubaye réalisée pour le Pays d’Art et d’Histoire Serre-Ponçon-Ubaye-Durance en 2021. Une partie de l’étude a été publiée, la même année, sous la forme d’un focus du Pays d’Art et d’Histoire intitulé Présence militaire dans l’Embrunais et la vallée de l’Ubaye du XVe siècle à 2009.

Son origine : la guerre de la ligue d’Augsbourg  

(1693 – début XIXe siècle)[1]

La mise en place d’un système fortifié dans la vallée de Barcelonnette est la conséquence directe des deux premières années de la guerre qui oppose le duché de Savoie au royaume de France de 1690 à 1696. L’offensive savoyarde de juillet-septembre 1692 qui voit les troupes placées sous le commandement du duc de Savoie Victor-Amédée II pénétrer assez profondément en territoire français (la ville de Gap est prise au mois d’août) par la vallée de Barcelonnette (alors savoyarde) via le franchissement du col de Vars et prendre à revers l’armée française, rend caduc la défense du territoire mise en place depuis Louis XIII et impose à son fils Louis XIV de la repenser. Ce dernier confie cette mission à son commissaire général des fortifications, Vauban, qui est à pied d’œuvre dès le mois de septembre 1692. Après avoir visité la frontière entre Briançon et Nice, il fait parvenir au roi son plan de défense. Dans la région de la vallée de Barcelonnette, il fait établir une ligne de défense aux débouchés immédiats de celle-ci. Les fortifications envisagées visent à arrêter une éventuelle offensive ennemie avec la place forte de Mont-Dauphin et à empêcher les offensives limitées de quelques milliers d’hommes sans moyens de siège importants, à l’image de celle exécutée en novembre-décembre 1690 par le marquis de Parelle, avec les petites places fortes de Saint-Vincent, Seyne et Colmars. Vauban prévoit également une deuxième ligne de défense avec des places fortes à Gap, Digne et Sisteron. 

Parallèlement, Louis XIV ordonne à Catinat d’occuper la vallée de Barcelonnette et d’y établir un premier rideau défensif. Le projet est mis en exécution à partir juin 1693. L’objectif de ces fortifications est de contrôler le territoire et les voies de communication, surveiller la frontière, empêcher les incursions et les coups de main ennemis, de bloquer ou ralentir les offensives limitées comme celle du marquis De Parelle et de retarder une armée d’invasion, le temps de mettre en état de défense et de renforcer les places fortes de la région en premier lieu celle de Mont-Dauphin. Pour ce faire il est décidé d’établir un camp sur le plateau de Tournoux, bien situé (au débouché immédiat du col de Larche, en position d’interdire l’accès du col de Vars et le débouché aval de la vallée de Barcelonnette), difficile à attaquer (les officiers français parlent d’une véritable forteresse naturelle car le camp est adossé à une montagne, ses côtés sont inaccessibles et son front escarpé) et bien pourvue en bois et en eau afin de pouvoir y faire stationner entre 12 et 15 bataillons. La décision de le retrancher n’est prise qu’à la fin de l’année 1694 et les travaux ne sont réalisés qu’au cours de l’été 1695. Le but de ces travaux est d’en réduire la garnison (défendre un camp retranché consomme moins d’hommes qu’un camp qui ne l’est pas). Tout un ensemble de postes, destinés à contrôler le territoire et à éviter les incursions des petites unités irrégulières de l’armée savoyarde, sont établies le long des voies de communication autour du camp de Tournoux. A la fin de la guerre, le système défensif de la vallée de Barcelonnette est devenu une sorte de poste avancé, de premier rideau défensif couvrant les fortifications permanentes de la position principale de résistance situées aux débouchés de la vallée et donnant la profondeur voulue, préconisée et théorisée par Vauban, aux systèmes fortifiés protégeant les frontières du royaume. Cette création explique très certainement pourquoi les travaux prévus sur la deuxième ligne de défense (Gap, Sisteron et Digne) ne furent jamais réalisés. 

Une fortification de campagne renforcée semi-permanente

La construction de ce système défensif début dès l’arrivée des troupes françaises dans la vallée en juin 1693. Les différentes unités militaires, avec l’aide d’habitants réquisitionnés, établissent dans plusieurs endroits du territoire des fortifications de campagne en terre et en bois. Très vite, Le Peltier de Souzy, directeur général des fortifications, reçoit l’ordre de Louis XIV d’y consacrer de son budget destiné à la fortification des Alpes. C’est l’ingénieur militaire Creuzet de Richerand, en charge des fortifications du Dauphiné, qui est missionné pour établir un projet pour la vallée de Barcelonnette et de le faire mettre en œuvre. 

Le système fortifié qui est imaginé est original. Il est constitué d’un camp principal et de tout un ensemble des postes fortifiés très variés utilisant parfois des constructions existantes. De par les missions et parce qu’il se situe dans un territoire ennemi que l’on ne revendique pas et que l’on occupe que durant le temps du conflit, soit quelques mois ou quelques années, il est fait le choix de mettre en place un système fortifié constitué de fortifications de campagne. Mais elles sont renforcées par rapport à ce qu’elles sont d’ordinaire. En effet alors que d’habitude les fortifications de campagne (redoutes, retranchements, postes fortifiés, camps) ne sont construites qu’avec de la terre et du bois le temps d’une campagne d’été, celles de la vallée de Barcelonnette le sont pour être occupées toute l’année, y compris l’hiver, et durant un laps de temps beaucoup plus long. Une très grande partie de ces fortifications sont donc construites en pierre et maçonnées. Ce système défensif, cas rare pour ce type de fortifications, s’inscrit dans la très longue durée. Etabli en 1693, il est, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, régulièrement restauré, amélioré voire étendu à certaines périodes au gré des conflits qui opposent le duché de Savoie (devenu royaume de Piémont-Sardaigne en 1720) à la France que la vallée de Barcelonnette soit savoyarde (jusqu’en 1713) ou française. Abandonné lors des périodes de paix, il est réactivé lors des guerres, ce qui lui donne un caractère semi-permanent peut-être unique en son genre. Une redoute comme celle dénommée aujourd’hui de Berwick existe, bien que reconstruite et largement remaniée à plusieurs reprises, depuis 1693 et sert encore, dans le cadre des guerres révolutionnaires, en 1799. Enfin, les fortifications sont adaptées, comme le sont celles réalisées à la manière de Vauban, à leur milieu c’est-à-dire à la montagne. Les différents postes défensifs qui peuvent être dominés sont, par exemple, soit couverts, soit défilés par rapport aux hauteurs qui les surplombent de manière à ce que les défenseurs ne soient pas sous le feu de tirs en provenant. Ainsi dans la vallée de Barcelonnette, toutes les redoutes sont couvertes d’un toit. 

Le système fortifié en 1696 

A l’issue du traité de Turin (29 août 1696) qui suspend les hostilités entre le duc de Savoie et le roi de France, le système fortifié de la vallée de Barcelonnette se compose : 

  • Du camp retranché de Tournoux. Outre l’aménagement du plateau pour accueillir plusieurs bataillons, il n’est composé que de retranchements sur son front. Les abords ont été déboisés afin de ne pas offrir de couvert à d’éventuels assaillants.
  • Initialement d’une petite redoute en maçonnerie construite en 1693 derrière le retranchement dit « De Larray » afin de contrôler le pont qui traverse l’Ubaye. Elle est située au pied du camp de Tournoux. Elle est agrandie probablement en 1695. Désormais sa mission est de défendre le front du camp.
  • D’un corps de garde (petite redoute) aux murs crénelés pour 30 hommes au Pas de la Reissolle (Pas du Faure aujourd’hui). Sa mission est de contrôler le chemin menant du col de Larche au col de Vars. 
  • D’un casernement défensif au Châtelet en amont du hameau de Serenne. Placé au débouché des vallons de Maurin et de Fouillouse, il est chargé de protéger le chemin du col de Vars. Placé au sommet d’un rocher, il se compose d’une caserne dont les murs sont en mortier de chaux d’une capacité d’accueil d’un peu moins de 100 hommes. Elle comprend un magasin à poudre installé dans une des chambres de la caserne. Une petite boulangerie a été également construite dans son enceinte constituée de deux épaulements ou traverses en maçonnerie et d’escarpements qui entourent la position. L’alimentation en eau est assurée par des réservoirs en bois. 
  • Du poste fortifié de Larche. L’église du village est transformée en fortification. Le clocher a reçu des travaux afin d’en faire en tour de défense. L’église est transformée en casernement. La position est entourée d’un fossé bordé par un parapet, de palissades, de barrières et d’un fossé qui ne se franchit que par un petit pont. 
  • D’une redoute à mâchicoulis au Châtelard. Placée sur une hauteur, elle surveille le pont qui traverse l’Ubaye. 
  • D’une redoute sur la hauteur du Chastel qui domine le hameau du Planet (bourg de Jausiers). Elle contrôle les chemins descendant du vallon d’Abriès et du massif de Restefond ainsi que le chemin reliant Le Châtelard à Barcelonnette. 
  • Afin de mettre en sécurité les troupes stationnant dans la vallée, le village de Saint-Paul, le bourg de Jausiers et la ville de Barcelonnette sont partiellement protégés par des retranchements de camp, palissadés et dotés de barrières. 

Le système fortifié durant la guerre de succession d’Espagne (1707-1713)

La guerre reprend entre le duché de Savoie et la France en 1703. En 1706, les armées de Louis XIV subissent une désastreuse défaite devant Turin et sont contraintes de se mettre sur la défensive car Victor-Amédée II, dont l’armée est renforcée de manière importante par ses alliés, menace de nouveau la frontière alpine. L’armée des Alpes, placée sous les ordres du maréchal de Tessé, est en infériorité numérique, et doit se cantonner à une stricte guerre défensive en 1707. Il est décidé, très certainement sur les conseils du maréchal, désormais retraité, Catinat, qui assiste Louis XIV et son ministre de la guerre, de mettre en œuvre le plan arrêté dès 1703 qui prévoyait l’occupation et le rétablissement du réseau fortifié de la précédente guerre dans la vallée de Barcelonnette. Les troupes françaises pénètrent dans la vallée, probablement dans la deuxième quinzaine du mois de mars, sans rencontrer de grande résistance. Le duc de Savoie, cependant, avait fait démolir ce qui restait du premier réseau fortifié français à l’entrée de la guerre en 1703 afin que les soldats de Louis XIV ne puissent les utiliser. Aussitôt, les soldats, et très certainement des habitants réquisitionnés, édifient un ensemble de fortifications de campagne qui, à quelques exceptions près, utilise en grande partie les mêmes lieux et les mêmes emplacements que ceux établis lors de la guerre de la ligue d’Augsbourg. Le maître d’œuvre en est l’ingénieur La Blottière qui accompagne cette armée. Dans la deuxième quinzaine de mai, c’est l’ingénieur militaire De Langrune qui élabore et fait construire un système fortifié qui s’inscrit dans la continuité de celui mis en place par Creuzet de Richerand et La Blottière. 

Le système fortifié de la guerre de la ligue d’Augsbourg est ainsi restauré et renforcé. Il privilégie l’aspect défense de territoire face à une invasion d’une armée entière. Dans la continuité des travaux entrepris en 1695, il renforce la position de Tournoux par la construction d’une deuxième redoute au pied du front et de l’escarpement du camp. Une simple redoute est édifiée au Châtelet à la place du casernement défensif mais doublée par une importante position fortifiée à Saint-Paul. Dans l’Ubayette, un poste fortifié assure la liaison et la surveillance du chemin entre le camp de Tournoux et Larche où l’église est de nouveau transformée en important poste fortifié. Enfin, la redoute du Châtelard n’est pas rebâtie. 

Le système fortifié en 1710 

Le système fortifié se compose à cette date : 

  • Du camp de Tournoux. Des retranchements et deux corps de garde sont en construit sur son front. 
  • En avant et au pied de celui-ci, de deux retranchements ainsi qu’une redoute. 
  • Une redoute, qui surveille le pont traversant l’Ubaye sur l’emplacement de l’ancienne qui était à mâchicoulis, complète ce dispositif avancé de protection du camp. Elle est entourée d’une enceinte, d’un fossé qui peut être rempli d’eau, de palissades. 
  • Une redoute, bâtie sur les ruines de l’ancienne, et un petit corps de garde au Pas de la Reissolle. 
  • Une redoute pouvant abriter 60 hommes construite sur l’emplacement de l’ancienne caserne défensive au Châtelet. 
  • L’église de Saint-Paul qui est fortifié. Elle est défendue par une centaine de soldats. Les aménagements sont du même type que ceux réalisés à Larche (voir ci-après). 
  • L’église Larche transformée en poste fortifié avancé dont la garnison se monte à 100 hommes. Le clocher est de nouveau transformé en tour, l’église sert de caserne. La position est entourée d’une enceinte (en partie en murs crénelés, en partie en fascinage), d’un fossé et d’une palissade. 
  • La chapelle de Meyronnes transformée en poste fortifié. Elle est entourée d’une enceinte, d’un fossé et d’une palissade. Sa garnison est d’une trentaine d’hommes. 
  • Une redoute crénelée en maçonnerie de pierre sèche et à mâchicoulis est reconstruite sur la position du Chastel à Jausiers. 

Le système fortifié à l’épreuve du feu : l’offensive savoyarde de juillet-août 1710 

A partir de 1709, le camp de Tournoux fait partie, avec le camp de Valloire, des lieux où sont prépositionnées des troupes afin d’intervenir au plus vite le long de la frontière avec la Savoie dans le cadre du système de « navettes briançonnaises » mis au point par le maréchal de Berwick commandant l’armée des Alpes. 

En juillet 1710, le comte de Thaun, à la tête d’une armée comprenant des savoyards et des troupes alliées, lance une offensive par le col de Larche et tente de réitérer l’offensive menée par Victor-Amédée II en 1692. Le 21 juillet, cette armée met le siège devant la position fortifiée de Larche qui tient deux jours. La garnison ne se rend que lorsque des pièces d’artillerie prennent position face à elle pour la bombarder. Ne pouvant attaquer de front le camp de Tournoux trop bien défendu, le comte de Thaun fait passer ses unités par le col de Mirandol. Le 26 juillet, le gros de ses troupes campe à Fouillouse. Le 27 juillet, la petite redoute du Châtelet est prise sans coup férir et l’armée de De Thaun campe à Saint-Paul où il est rejoint par 5 000 hommes passés par le col du Longet. Durant ce temps-là, Berwick a le temps de renforcer le camp de Tournoux et de venir avec le gros de son armée stationnée à Briançon se positionner entre Mont-Dauphin et le col de Vars. De Thaun est ainsi arrêtée par l’armée des Alpes et doit renoncer à son offensive. 

Le succès est total pour les français qui ont réussi à bloquer, sans beaucoup de pertes, l’offensive de l’armée alliée. La parade imaginée depuis 1693, afin de ne pas voir se reproduire une offensive similaire à celle de Victor-Amédée II de 1692, s’est révélée juste. Le système défensif mis en place face au col de Larche depuis la guerre de la ligue d’Augsbourg, combiné avec la défense mobile de la frontière appliquée par Berwick, a fait preuve de son efficacité. 

Cependant cette offensive ne fut pas exempte de mauvaises surprises et a révélé aux officiers commandant le secteur certaines faiblesses dans le dispositif défensif mis en place. Le passage de 2 000 hommes par le vallon d’Abriès n’avait pas été imaginé ni anticipé. De voir ces troupes camper au-dessus de la Chalanette a été une très mauvaise surprise. Si les alliés étaient descendus jusqu’à Jausiers, la petite redoute n’aurait certainement pas résisté bien longtemps. Elle ne les aurait pas empêchés, de prendre la direction du Châtelard et de couper la communication du camp de Tournoux avec Embrun par le col du Parpaillon ou de descendre sur Barcelonnette.

Le système fortifié en 1713

Sans que nous en connaissions les tenants et les aboutissants (il est notamment impossible avec la documentation consultée de savoir si tout ou partie des nouvelles réalisations ont été réalisées après juillet 1710), la défense du camp de Tournoux est, en 1713, considérablement renforcée, par rapport à ses débuts : 

  • Sur la gauche du camp en plus du corps de garde et de la redoute du Pas de la Reissolle ont été construites une redoute dénommée des Angelets (elle sera appelée plus tard Des Cassons) et une autre dénommée De Chabrane qui garde la grande fontaine, le point d’eau la plus proche du camp. 
  • Le front du camp est également renforcé. La redoute près du pont franchissant l’Ubaye, appelée « Grande Redoute » ou « Queue d’Aronde », est devenue un grand ouvrage à redents irréguliers pour 300 hommes dont l’enceinte est en maçonnerie crénelée avec des galeries intérieures en bois. A l’intérieur, se trouve un pavillon carré à plusieurs étages et un petit four. Une redoute fermée est construite près du hameau des Gleizolles, dont elle prend le nom (elle est dénommée également Pont des vaches) dont les murs sont maçonnés, percés de créneaux. Cette redoute dotée deux ou trois galeries en bois à l’intérieur et dont la garnison se monte à 50 hommes maximum garde le chemin qui va du hameau au village de la Condamine. Une autre redoute a été édifiée au débouché de la combe de Meyronnes, dont elle porte le nom, en amont du village des Gleizolles. 
  • Une redoute a été construite sur la droite du camp au sommet de Tourniquet (chemin en zig-zag permettant de franchir de fortes pentes) qui vient de la Condamine afin de protéger le camp. Elle est dénommée redoute du Tourniquet. 
  • La redoute du Chastel à Jausiers est agrandie. C’est désormais un bâtiment crénelé à trois étages. Des retranchements en maçonnerie de pierre sèche l’entourent désormais. 
  • Le système fortifié est enfin complété par la construction d’une très petite redoute de « trois toises en carré » entourée de murs en pierre sèche établie un peu en avant du col de Vars côté Ubaye afin de surveiller et contrôler le chemin reliant la vallée de Barcelonnette à Mont-Dauphin. 

Vie et évolutions du système fortifié jusqu’en 1800

Une conception stratégique de la défense du territoire qui reste identique  

En 1713, la vallée de Barcelonnette devient française essentiellement pour des raisons d’ordre stratégique. Le commandant des troupes françaises, le maréchal de Berwick, est convaincu que cette vallée « étoit un grand avantage pour le système de nos navettes sur cette frontière, et pour défendre l’entrée de la Provence et du Dauphiné » et lors de négociations secrètes du traité d’Utrecht a obtenu de Louis XIV de revendiquer le rattachement de la vallée au royaume.

Sur le plan défensif, ce changement de souveraineté ne change pas grand-chose tout au long du XVIIIe siècle. Même si quelques ingénieurs militaires suggèrent de positionner et d’établir dans la vallée de Barcelonnette le système fortifié permanent destiné à protéger la frontière, la défense face au col de Larche reste identique à celui établi depuis la guerre de succession d’Espagne. La fortification permanente reste ainsi positionnée sur l’ancienne frontière. Elle est protégée par le système défensif de campagne renforcé de la vallée de Barcelonnette que l’on réactive lors des conflits. Le commandement laisse volontairement un réseau de chemins dans la vallée qui ne permet pas un déplacement aisé de l’artillerie adverse et constitue ainsi un obstacle. Les officiers supérieurs s’opposent ainsi à tous les projets prévoyant la construction d’un chemin permettant à des véhicules à roue de pénétrer dans la vallée de Barcelonnette jusqu’aux années 1780. 

De 1713 à 1743, le système fortifié est laissé à l’abandon. En février 1743, les redoutes sont globalement dans un état dégradé, faute d’entretien. Certaines, comme celle du col de Vars, celle qui se trouve en dessous du pas du Faure, celle de la Chabrane-grande fontaine ou la redoute du Tourniquet sont en ruines. D’autres sont dans un triste état. Les redoutes du Châtelet et du Pas du Faure ont perdu leur couvert et pour la dernière l’ensemble de ses éléments en planches. La redoute des Gleizolles a vu sa muraille côté rivière s’écrouler l’année précédente. Finalement, seule la grande redoute, celle de la combe de Meyronnes (la couverture est encore bonne) et celle des Angelets sont encore entières. Dans ces redoutes seuls les éléments en bois (planches, pontins) manquent ou sont en partie abîmés. 

Le système fortifié durant la guerre de succession d’Autriche 

Le système fortifié est de nouveau réactivé à partir de septembre 1743 date à laquelle la France entre en guerre contre le royaume de Piémont-Sardaigne durant la guerre de Succession d’Autriche. Des travaux sont surtout entrepris à partir de mai 1744 en vue de l’offensive franco-espagnole qui se prépare et a pour objectif d’envahir le Piémont à partir du col de Larche. Les fortifications sont réhabilitées afin de servir de relais et de protéger des raids de petites unités savoyardes l’armée en mouvement puis les lignes de ravitaillement. L’offensive qui débute en juillet prend fin avec l’échec du siège de Cuneo au mois d’octobre. L’artillerie franco-espagnole n’ayant pu ressortir de la vallée de Barcelonnette avant l’arrivée des premières neiges, elle stationnée à Jausiers. Afin de la protéger d’éventuels coups de main savoyards, le bourg est fortifié (y compris la position du Chastel) avec la construction des bastions et de retranchements de campagne. L’ancienne redoute du Chastel est rétablie et améliorée. Un véritable camp retranché de campagne est ainsi mis en place. 

A partir de 1745, des modestes travaux sont entrepris afin de rétablir le système fortifié afin de se protéger d’une possible offensive savoyarde. En septembre 1747, ce système repose toujours sur le camp de Tournoux dont les retranchements ont été rétablis (dans une forme proche que celle qu’ils avaient en 1713). La gauche du camp est défendue par les trois redoutes crénelées du Pas de la Reissolle, des Cassons (ex Angelets) et de la grande Fontaine. Au niveau du Pas de la Reissolle, une muraille crénelée est construite dans tous les points accessibles de l’arête rocheuse qui descend jusqu’à l’Ubaye. Le front du camp est toujours défendu par les redoutes de la combe de Meyronnes, des Gleizolles et la grande redoute, qui ont été restaurées ou rebâties. Un front de retranchement, qui sert de poste avancé à la redoute de la combe de Meyronnes a été rajouté. 

La droite du camp est défendue par la redoute située au Chastel à Jausiers, équipée de deux canons de quatre. N’ayant plus d’utilité, le camp retranché de Jausiers a été démantelé.  Seul demeure la défense du pont de Gueynier avec une redoute qui le défend. Enfin, à Barcelonnette le pont de la ville est lui aussi protégé par une redoute. La communication entre le camp de Tournoux et le col de Vars est protégée par la redoute et les retranchements du Châtelet et par la petite redoute du col de Vars qui tous ont été restaurés ou rebâtis. En revanche, la position avancée de Meyronnes-Larche n’est pas rétablie et l’église de Saint-Paul n’est pas fortifiée. Dès le mois de mars 1748 les préliminaires de paix débutent et les opérations militaires cessent. Le système fortifié est, quelques mois plus tard, de nouveau laissé à l’abandon. 

Le système fortifié lors des guerres révolutionnaires  

La guerre touche de nouveau la frontière des Alpes à partir de septembre 1792. Dans la vallée de Barcelonnette, le camp de Tournoux est réoccupé par plusieurs bataillons. Kellerman qui commande l’armée dans les Alpes ordonne en mars 1793 au directoire de Barcelonnette de remettre en état un certain nombre de fortifications. Le directoire fait établir des devis et les travaux sont attribués par adjudication, le 30 avril pour la grande redoute et celle des Gleizolles, à des entrepreneurs de la vallée. Cinq redoutes défendant les approches du camp sont restaurées : Pas de la Reissolle, Cassons, Grande Redoute, redoute des Gleizolles et une dernière, non identifiée avec certitude (c’est soit celle la Combe de Meyronnes, soit celle des Tourniquets ou celle de la Grande Fontaine). La Grande redoute et celle des Gleizolles sont rebâties en pierre sèche et comportent, une fois les travaux achevés, trois rangs de feu, séparés par des planchers. Apparemment la redoute du Châtelet est également remise en état. Tous les autres points fortifiés, en revanche, ne sont pas restaurés. Le camp de Tournoux et les redoutes défendant son approche ne subissent aucune attaque durant ces guerres révolutionnaires. Le camp sert, en 1794 et 1795, de base de départ pour les actions offensives menées dans la vallée Stura. En 1796 et 1797, il joue un rôle de dépôt et de plaque tournante pour les troupes rejoignant l’Italie par la vallée Stura. En 1799-1800, Tournoux ne sert que de camp de transit. A l’automne 1798, Les cinq redoutes l’entourant ne sont pas occupées. Elles sont cependant fermées et surveillées, ce qui n’était apparemment pas le cas avant la révolution, par un garde âgé de 55 ans qui habite le village de Tournoux et reçoit pour cela un traitement de 50 francs par an. A partir du printemps 1800, ce système de surveillance prend fin. Les redoutes sont laissées à l’abandon et ne seront plus jamais réhabilitées dans un but défensif.  

Les derniers éléments du système fortifié aujourd’hui et leur intérêt patrimonial

Peu d’éléments subsistent aujourd’hui de cet ancien système fortifié. Seuls les vestiges de deux redoutes et une autre largement transformée appartenant à un propriétaire privé qui l’habite témoignent encore de cet ancien système fortifié. Ce sont : 

  • La petite redoute du Pas du Faure. Initialement appelée du Pas de la Reissolle, ses origines remontent en 1693 lorsque fut érigé à son emplacement un corps de garde abritant 30 hommes. Lors de la guerre de succession d’Espagne, une petite redoute crénelée y est construite à son emplacement. Elle est restaurée lors de la guerre de succession d’Autriche et lors des guerres révolutionnaires avant d’être définitivement laissée à l’abandon. Ses derniers vestiges ont été cristallisés en 2017 par l’Amicale Ubayenne des Anciens Chasseurs Alpins. 
  • La redoute des Cassons. Elle est élevée lors de la guerre du Succession d’Espagne. Son nom est alors redoute des Angelets. Elle est restaurée lors de la guerre de Succession d’Autriche puis lors des guerres révolutionnaires avant d’être définitivement abandonnée. Cette redoute a la forme d’un réduit à cinq côtés, divisée en trois étages par des planchers. Chaque étage desservait un ensemble de meurtrières de plus ou moins grande taille. De manière très surprenante, bien que ruinée, elle est dans un état de d’élévation étonnant pour une construction abandonnée depuis le début du XIXe siècle. 
  • La redoute Berwick. Ses origines remontent à la guerre de la ligue d’Augsbourg. Appelée redoute De Larray, c’est alors une petite redoute chargée de surveiller le pont traversant l’Ubaye au pied du camp de Tournoux. Elle est agrandie en 1695. Cette redoute est rebâtie au début de la guerre de succession d’Espagne. Elle est considérablement agrandie durant ce conflit en devenant un grand ouvrage pour 300 hommes. Elle est alors appelée Grande Redoute (le nom qu’elle conserve jusque dans les années 1890) ou Queue d’Aronde (dénomination inspirée par sa forme). C’est le plus grand ouvrage défensif du système fortifié. Cette redoute est rétablie lors de la guerre de succession d’Autriche et lors des guerres révolutionnaires. Durant la construction du fort de Tournoux, à partir de 1844, elle est remise en état pour accueillir une compagnie du génie et des baraquements sont installés à l’extérieur, adossés aux murs d’enceinte, pour héberger 193 ouvriers civils. Dès le début des années 1890, la redoute est restaurée et modifiée pour héberger des soldats du 157e Régiment d’Infanterie en garnison dans le fort de Tournoux et les baraquements de l’Ubaye situés à la sortie de la Condamine. Elle semble être baptisée Berwick durant cette époque. Au début années 1970, elle est vendue par l’armée au syndicat intercommunal d’Epinay-sur-Seine-Meyronnes et abrite un camp de vacances. Elle est ensuite vendue puis revendue à plusieurs propriétaires privés. Elle est inscrite depuis 1940 à l’inventaire des monuments historiques. Cette redoute a été largement modifiée par les propriétaires successifs depuis les années 1890. 

Ces derniers éléments des fortifications d’Ancien Régime de la vallée de Barcelonnette méritent d’être sauvegardés car ils sont les derniers représentants d’un système fortifié original, très probablement unique en son genre. Ils illustrent une facette peu étudiée et peu connue de l’histoire de la fortification française. Si la redoute du Pas du Faure a été cristallisée par les travaux réalisés par l’Amicale Ubayenne des Anciens Chasseurs Alpins et celle de Berwick entretenue par son propriétaire et protégée par son classement au titre des monuments historiques, il n’en est rien pour la redoute des Cassons. Elle est actuellement à l’état de ruine et vouée à disparaître si rien n’est entrepris. Sa disparition serait dommageable pour le patrimoine non seulement de la vallée de l’Ubaye mais aussi pour le patrimoine fortifié national car elle est encore dans un état de conservation assez remarquable et, parce qu’elle n’a pas subi de transformations importantes, elle reste proche de ce qu’elle était à la fin du XVIIIe siècle. La redoute des Cassons constitue pour toutes ces raisons un patrimoine remarquable qui mérite d’être sauvegardé. 

Laurent Surmely. 28 juin 2022


[1] Informations extraites de Laurent Surmely, Etude historique et documentaire sur les fortifications et la présence militaire dans l’Embrunais et la vallée de l’Ubaye (XIIIe-XXIe siècle), Pays d’art et d’histoire SerrePonçon-Ubaye-Durance, 2021.